À prendre ou à laisser by Lionel SHRIVER & Lionel Shriver

À prendre ou à laisser by Lionel SHRIVER & Lionel Shriver

Auteur:Lionel SHRIVER & Lionel Shriver [Shriver, Lionel & Lionel Shriver]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Belfond
Publié: 2022-12-19T10:09:15+00:00


7

On s’amuse avec le docteur Mimi

— MAMAN ! Où sont les comprimés ?

— Dans le frigo. Une boîte noire au fond à gauche sur la clayette du haut.

Après avoir traversé la cuisine d’un bond, Cyril avait pris l’escalier de derrière et était monté en quatrième vitesse dans leur chambre où, accroupi derrière la porte, il écoutait les criailleries de sa fille au rez-de-chaussée. Il tremblait de rage. Non seulement sa propre épouse avait dévoilé leurs plans précisément à l’enfant qui ne manquerait pas de faire tout un plat de la tant vantée et pourtant contestable sacro-sainte vie humaine, mais voilà que Kay avait aussi lâché sans résister la cachette de leurs haricots magiques, vieille de plusieurs décennies.

— Elle n’y est pas, entendit dire Cyril d’un ton accusateur.

Exact, songea-t-il en serrant le flacon dans sa poche. Elle n’y est pas.

— Alors demande à Cyril, répondit Kay. C’est lui le maître de cérémonie.

— Si je comprends bien, papa est le meurtrier ! s’exclama Hayley. Encore un docteur Kevorkian ! Ou un Harold Shipman ! Il t’a lavé le cerveau pour que tu acceptes de l’accompagner dans une de ses lubies socialistes de dingue ! Cette absurdité lui ressemble tellement que ça me rend malade !

Cyril sentit un grand soulèvement partir d’une région de son être qu’il connaissait à peine. Cette force jaillit spontanément ; son irruption fut si involontaire que la seule comparaison qui lui vint à l’esprit fut le vomissement, bien que la sensation ne soit pas aussi désagréable. Cet afflux – cette substance – cette énorme chose informe ne lui était pas extérieure ou étrangère ; c’était lui. Et ce moi profond était offensé. Comment ces femmes osaient-elles lui faire obstacle ? De quel droit ces créatures velléitaires s’autorisaient-elles à contrecarrer un projet qu’il mûrissait depuis trente ans ? Comment ces chochottes sentimentales se permettaient-elles d’entraver l’apothéose courageuse et respectable d’une impressionnante carrière ? La consternation l’aveuglait. Il allait montrer à ces femmelettes de quel bois il se chauffait. Parce qu’elles n’avaient aucun droit de se mettre en travers de son chemin, aucun droit d’exiger qu’il s’étiole lui aussi, se désagrège et disparaisse comme tous ces crétins à la ramasse qui s’accrochaient à la moindre excuse pour rester vivants, pestant contre la lumière qui se mourait comme dans ces poèmes rebattus qu’on citait à tout bout de champ. Ces deux-là n’avaient aucun droit de contraindre le docteur Cyril J. Wilkinson à imploser pour devenir une parodie bafouillante et infirme de feu sa formidable personne, un poids supplémentaire pour l’État, un poids supplémentaire pour sa famille, une source supplémentaire de rancœur, d’ennui, de moquerie, de pitié et d’exaspération perpétuelle. Avec tous leurs caquetages à l’eau de rose, elles n’avaient aucun droit de réclamer qu’il s’avilisse comme tous les autres, se ridiculise lui-même et fasse table rase de tout ce qu’il avait été et de tout ce qu’il avait accompli en devenant idiot, dépendant et déliquescent ! Il avait les comprimés, il avait le pouvoir.

Pourtant, malgré sa vive indignation, Cyril était encore capable de réfléchir avec méthode.



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